Homélies — Paroisse Notre-Dame Saint-Jacques de Reims

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Paroisse Notre-Dame Saint-Jacques de Reims
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La paroisse Notre Dame Saint Jacques, comme toute paroisse, est une communauté d'Eglise qui cherche à accueillir, à rendre compte de sa foi, à offrir la possibilité de découvrir le Christ et de cheminer avec Lui.

Elle s'étend sur le centre ville de Reims, autour de la cathédrale et de l'église Saint Jacques, entre les boulevards Paul Doumer, Leclerc, Foch, Lundy, de la Paix, et les rues des Murs, de Contrai, du Jard.

Elle porte le souci de ceux qui vivent et travaillent dans ces quartiers, de ceux qui viennent pour visiter ces églises,y prier, ou y faire halte lors d'un pélerinage. 

contact:cathedrale.reims@orange.fr

 

Homélies

Homélie de Mgr Éric de Moulins-Beaufort

pour la messe du 30ème dimanche du Temps ordinaire, année B, 

le 28 octobre 2018, en la cathédrale Notre-Dame de Reims.

« Rabbouni, que je retrouve la vue ! ». Parce que, finalement, l’aveugle se trouve guéri, qu’il recouvre la vue, on pourrait conclure que tout est terminé. Voilà un miracle de plus à ajouter en faveur de Jésus pour prouver sa divinité. Mais interpréter ainsi ce récit serait bien court. Ce serait bien court parce que l’épisode est rapporté par saint Marc à un moment stratégique de son évangile, comme la dernière rencontre de Jésus avant son entrée à Jérusalem pour les ultimes confrontations qui vont le conduire à la Passion et son dernier miracle ; ce serait bien court parce que l’aveugle invoque Jésus comme « Fils de David » ; ce serait bien court parce que l’évangéliste nous donne le nom de cet aveugle, seul bénéficiaire d’un miracle qui ne soit pas anonyme. 

Que demande cet homme ? Il demande à voir. Que va-t-il voir ? La beauté des paysages, la couleur du ciel, la variété des visages des êtres humains, la splendeur du Temple de Jérusalem, sans doute. Mais il lui faudra voir aussi, si vraiment il voit et regarde, la richesse insolente de certains et la pauvreté, voire la misère, de beaucoup ; la bonté, la compassion de quelques-uns à l’égard des autres mais aussi le regard d’indifférence dont des bien-portants sont capables à l’égard des moins favorisés ; la ferveur sincère de nombre de ses compatriotes venant à Jérusalem mais aussi la recherche par quelques-uns de la considération des autres plutôt que de la grâce de Dieu… Plus précisément, puisque, selon saint Marc, ayant recouvré la vue, le fils de Timée se mit à suivre Jésus - et il put le faire enfin, sans risquer de trébucher à chaque pas - il va voir l’entrée solennelle de Jésus dans Jérusalem, acclamé par la foule des Rameaux, et il va lui falloir voir l’affrontement croissant de Jésus avec les diverses sortes d’autorités qui tiennent Jérusalem. Et là, frères et sœurs, nous touchons un point décisif de notre réalité humaine, un aspect douloureux que la lettre aux Hébreux, avec son vocabulaire si particulier, peut nous aider à comprendre. 

« Tout grand-prêtre, nous dit-elle, est établi pour intervenir en faveur des hommes dans leurs relations avec Dieu », Disons que tout responsable religieux est établi pour préparer les hommes au jugement de Dieu, et notamment en offrant des sacrifices pour compenser ce qu’il y a d’insatisfaisant dans ce que font et ce que sont les hommes. Comment oser présenter au Dieu créateur ce que nous faisons de son œuvre ? Mais ce qui complique encore les choses est que les chefs religieux, si l’on est lucide, les meilleurs d’entre eux tout autant, manquent toujours un peu ou beaucoup à ce qu’ils devraient être et ils doivent donc compenser pour eux-mêmes devant Dieu. 

Disons aussi, si vous me permettez en cet après-midi d’être rapide et de ne pas tout détailler, qu’il en va de même pour tout responsable politique ou social ou culturel : à leur manière, pour le dire en des termes plus séculiers, ils conduisent le groupe humain dont ils ont la charge sous le jugement de l’histoire ou des générations à venir. Que vaut notre vie collective ? Que vaut ma vie personnelle ? Est-ce que les fruits de l’existence de l’humanité justifient son existence ? Est-ce que les fruits de mon existence justifient que j’ai été créé, moi ? La lettre aux Hébreux nous oblige à voir que chaque prêtre – entendons donc ici tout responsable humain, qu’il soit religieux ou politique ou culturel ou social - est lui-même un pécheur, - en termes sécularisés, est inférieur à ce qu’il devrait être et introduit du trouble là même où il s’efforce ou croit s’efforcer d’apporter du meilleur. Tel est un aspect du drame humain : nous voudrions faire du bien et nous faisons rarement du bien tout purement. Toujours, quelque chose d’autre s’y mêle, plus ou moins malgré nous.

 On veut conduire les hommes à agir selon les motivations les plus élevées, les plus désintéressées, et l’on ne parvient qu’à créer du conformisme social et une société lourdement moralisante ; on se propose de servir la communion entre tous, et l’on doit constater qu’il existe des méfiances, des incompréhensions, des tensions qui naissent parfois de la médiocrité des uns ou des autres et parfois aussi de leur désir de faire le meilleur.

Si l’on est un responsable politique, on veut libérer les énergies et stimuler le travail en ouvrant la société au progrès technique et à la liberté commerciale et l’on récolte la délocalisation des productions et le chômage de masse. Notre pays a voulu répandre dans le monde les bienfaits de sa civilisation au risque de perturber la vie des peuples et d’utiliser ceux-ci à son profit et il s’étonne et s’effraie de voir arriver chez lui des personnes étrangères qui aspirent à mener une vie meilleure.

Si l’on est un responsable culturel, on veut profiter du progrès technique et des subtilités juridiques pour promouvoir une société respectueuse des droits de chacun et allégeant toute souffrance sociale, et l’on engendre une société où toutes les catégories possibles réclament leurs droits au lieu de se penser au service les unes des autres, une société qui ne nourrit guère la capacité de renoncer à soi pour le bien le meilleur des autres.

Si je suis tout simplement un père ou une mère de famille, combien facilement je peux constater qu’en croyant appeler mes enfants à un bien plus grand, je peux au bout du compte, quoi qu’il en soit de mes intentions, les étouffer ou bien forcer leur développement spontané.

Si aisément nos ambitions les plus hautes sont trahies par nos besoins de dominer ou de nous assurer une gratification et, plus banalement encore, par nos maladresses et nos opacités ! Nous vérifions cet aspect du problème humain en ce moment très spécialement, nous autres catholiques, et avec douleur : nous voulons vivre selon la charité du Christ, dans des rapports humains qui soient des rapports de communion qui préparent à la vie éternelle et l’anticipent et nous devons constater que même des prêtres de Jésus-Christ peuvent se laisser aller à des actes qui troublent profondément ceux à qui ces prêtres sont censés apporter la lumière et la consolation et la force de Jésus. Nous ne pouvons pas nous contenter de dire qu’il s’agit là des actes de quelques-uns qui ont trahi ou qui ont révélé des fragilités insoupçonnées. Nous devons accepter qu’ils sont des membres du corps que nous formons et que nous n’avons su ni empêcher ni voir ni prendre en charge vraiment leurs actes et leurs conséquences en pensant d’abord aux personnes atteintes. 

Alors, frères et sœurs, en voyant tout cela, en constatant tout cela, que décidons-nous, que déciderons-nous ? Devrions-nous nous laisser aller au découragement ou au cynisme, devons-nous nous persuader que la seule attitude raisonnable est de prendre son parti que l’homme soit un loup pour l’homme et conclure que la sagesse consiste pour chacun à tirer son épingle du jeu le mieux possible, à se construire un confort suffisamment protégé pour ne pas être inquiété par les autres ? 

Mais notre aveugle, notre Bartimée, a vu autre chose, s’il a su regarder, lui. Il a vu certes Jésus s’affronter aux autorités sous différents angles, il a vu l’échec de Jésus, la crucifixion qui semble signer la victoire de tous les conformismes et la fin de toute espérance, il a dû voir le rejet dont une foule est capable et il a vu ou au moins deviné la lâcheté décevante des apôtres de Jésus, ses amis, en constatant leur absence autour de leur maître humilié.

A-t-il vu plus loin ? L’évangéliste ne nous le dit pas, il nous laisse nous interroger. S’il a regardé encore, il a pu voir le Ressuscité. Il a pu tout au moins voir apparaître soudain autour de Jésus mort des amis de Jésus inattendus, le centurion, les Joseph d’Arimathie, les Nicodème, et les saintes femmes, inaltérables. Il a pu voir les apôtres de Jésus revenir les uns vers les autres, et s’en aller porteurs d’une force et d’une lumière nouvelles. Il a pu peut-être les voir recevant le pardon et la paix et l’Esprit de celui qui, ressuscité, est devenu leur Seigneur, lui qui, dans la puissance de sa miséricorde, les rétablit au-delà de toute attente.

C’est que Jésus, lui, n’est pas un grand-prêtre comme les autres, ayant à offrir pour lui-même des sacrifices pour compenser ses propres fautes en même temps que celles des autres. Il est celui qui vient à nous, à l’humanité entière et à chacun, pour percer tous les murs, pour affronter les forces de mort, pour retourner les cœurs nécrosés, afin d’implanter son Esprit de sainteté dans les libertés les plus hostiles. Il est celui qui vient à nous, à chacun de nous, parce qu’il ne se résigne jamais à notre enfermement dans le péché ou à notre repliement sur la tristesse et parce qu’il veut tirer jusqu’à lui le plus modeste de nos gestes qui contredit le règne de la mort. Pas plus qu’un autre, il ne s’est donné à lui-même cette mission et cette gloire. Il ne s’est pas autoproclamé sauveur des hommes. Il se reçoit du Père, il obéit au Père, il remet toute son action entre les mains du Père, il attend du Père qu’il transforme l’échec en gloire, non pour écraser ses adversaires mais pour les convertir et les vivifier.

Alors, frères et sœurs, puisque Bartimée, le fils de Timée, m’est donné comme compagnon au seuil de mon ministère parmi vous, permettez-moi de vous partager en ce soir quelque chose de ma prière: 

« Seigneur, que je voie ! Oui, donne-moi, Seigneur, de voir la foi, l’espérance et la charité qui travaillent les cœurs bien plus qu’il apparaît au regard extérieur. Donne-moi de voir ton Esprit-Saint à l’œuvre, alors même que nos structures se transforment, que nos pauvretés se font sentir, que les facilités de jadis disparaissent. Fais que je voie ce que tu veux pour ton Église en ce temps, les purifications que tu attends, les chemins d’action inattendus que tu ouvres. Permets aussi, Seigneur, que j’aide mes frères et mes sœurs à voir et à avoir envie de voir. Accorde-moi de les aider à nourrir en eux le goût de vivre selon le meilleur. Ne me laisse jamais aller au découragement, que je ne sois pas de ceux qui font taire les mendiants qui crient. Fais de moi plutôt un porteur de ton appel plein de consolation et de force, que je sache dire aux autres : ‘’Confiance, lève-toi, il t’appelle !’’ »

Et permettez-moi de vous suggérer ce que pourrait être votre prière : « Seigneur, que je voie ! Que la peur ni l’ennui ne l’emportent en moi sur la confiance et l’espérance ! Que je voie la sainteté des autres et celle à laquelle tu m’appelles. Que mes petitesses, mes mesquineries, mes déceptions ne m’empêchent jamais de viser la hauteur que tu veux pour moi. Que les disputes, les frottements, les colères qui peuvent nous habiter ne l’emportent jamais en nous et dans nos communautés paroissiales sur ton appel à l’amour mutuel ! Que nous sachions voir les besoins des autres, autour de nous, et apporter ce que nous pouvons pour les soulager, les encourager, les accueillir tout simplement. Que nous ne soyons pas de ceux qui ont peur devant la diversité de l’humanité, mais que nous sachions chercher et trouver avec lucidité et avec intelligence des chemins pour une vie commune plus juste et plus riche, éclairés que nous sommes par l’espérance de la vie éternelle», ou bien encore permettez-moi de formuler ce que pourrait être votre souhait si vous ne pouvez-vous référer à Dieu dans la prière : « Que je sache voir le bien à faire qui m’attend, voir aussi le bien que les autres poursuivent, que je sache voir le chemin qui s’ouvre dans une situation apparemment fermée, que je ne reste pas prisonnier de mes inquiétudes ou de mes déceptions, ni rongé par mes angoisses ! Que, toujours, je puisse croire que l’humanité mérite de viser le meilleur »

 

Il arrive souvent, frères et sœurs, et il arrivera souvent, que nous ayons à crier : « Fils de David, prends pitié de moi ! ». Lui, vous l’avez entendu, regarde Bartimée dans les yeux, il prend son temps, puis il demande : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? ». Réfléchis bien, fils de Timée. Que veux-tu qu’il fasse pour toi ? Laissez-moi vous le dire, frères et sœurs, après tout, c’est et ce sera mon rôle principal : « Confiance, lève-toi, il t’appelle ! » Oui, ayez confiance qu’il vaut la peine de crier vers Jésus et mieux encore qu’il vaut la peine de se lever pour le rejoindre. Sachez, frères et sœurs, chers amis, jeter votre manteau, sachons jeter ce qui nous retient à mendier sur le bord de la route et sachons couvrir en quelques bonds la distance qui nous sépare de lui. Il s’est approché de nous au maximum mais il nous laisse toujours quelques pas à faire. Car les promesses faites à Israël, celles dont Jérémie s’est fait le porteur, nous osons croire qu’elles sont ouvertes à tous désormais, à cause de ce Fils de David-là qui est le Fils éternel du Père, mort pour nos péchés, ressuscité pour notre vie. 

Quel que soit votre degré de foi, laissez-moi vous le dire, il vaut la peine, frères et sœurs, d’engager notre vie sur le chemin de l’espérance. Bartimée nous le crie à jamais,

 

Amen.

+ Éric de Moulins Beaufort

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Mgr Guy Harpigny, évêque de Tournai

Homélie pour les Fêtes de Jeanne d’Arc

Cathédrale de Reims 7 juin 2015

 

Une femme du début du XVème siècle demeure un personnage illustre pour la France du XXIème siècle. C’est avec raison que, depuis sa canonisation en 1920, Jeanne est devenue une Sainte de la Patrie. Tant les autorités civiles que les autorités religieuses trouvent en elle une source de réflexion et d’inspiration.

 

L’itinéraire de Jeanne est très étonnant. Née vers 1412 dans une famille de paysans à Domrémy en Lorraine, elle entend à treize ans des voix surnaturelles, saint Michel, sainte Catherine et sainte Marguerite, qui lui ordonnent de délivrer la France alors occupée en majeure partie par les Anglais, soutenus par les Bourguignons. A seize ans, Jeanne essaye de convaincre Robert de Baudricourt de lui fournir une escorte pour rejoindre le dauphin Charles à Chinon. Elle ne part qu’en 1429. Ayant reconnu le dauphin Charles, dissimulé dans l’assemblée de courtisans, Jeanne parvient à le persuader de la réalité de sa mission et à se faire confier une armée. Du 11 au 24 mars 1429, Jeanne est à Poitiers pour faire authentifier sa mission par une commission d’ecclésiastiques.

 

Jeanne devient un authentique chef de guerre, pourvu d’une maison militaire avec un écuyer, un intendant et un héraut chargé de porter ses messages. Elle délivre Orléans, prend Auxerre, Troyes, Châlons. Le 18 juin 1429, l’armée de Jeanne remporte la première victoire en rase campagne. Depuis le début de la Guerre de Cent Ans, les défaites de Poitiers, Crécy et Azincourt avaient couvert de honte la chevalerie française. Patay est la revanche tant attendue. Le 17 juillet 1429, Charles VII est sacré en cette Cathédrale.

 

Continuant les combats, Jeanne est capturée sous les remparts de Compiègne par le bourguignon Jean de Luxembourg et enfermée au château de Beaurevoir. Elle est vendue aux Anglais pour la somme de 10.000 livres tournois. En novembre 1430, elle est transférée au château du Bouvreuil à Rouen.

 

En janvier 1431, Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, ordonne une enquête à Domrémy et Vaucouleurs. Le 13 février 1431, le tribunal est constitué. Le procès ecclésiastique dure deux mois. A la fin mars 1431, 70 articles condamnent Jeanne. Le 24 mai 1431, Pierre Cauchon oblige Jeanne à abjurer. Elle reprend l’habit féminin. Le 28 mai 1431, Jeanne reprend l’habit d’homme. Considérée comme relapse, elle est condamnée à mort. Le 30 mai 1431, elle est brûlée vive sur la place du Vieux-Marché à Rouen. Jeanne a dix-neuf ans.

 

En 1450, Charles VII fait procéder à une enquête qui aboutit à un procès de réhabilitation, clôturé en 1456. 

 

Une jeune fille qui entend des voix surnaturelles parvient à faire sacrer le roi de France, alors qu’une bonne partie du territoire est occupée par les Anglais. Une jeune fille qui est finalement vendue aux Anglais, condamnée par un tribunal ecclésiastique à être brûlée vive, et finalement réhabilitée par un autre tribunal 25 ans plus tard. Au cours de son procès, Jeanne a subi des pressions très fortes, au point qu’elle a, un moment, accepté d’abjurer. Elle s’est néanmoins rétractée. Sur le bûcher, elle n’a pas cessé d’invoquer Jésus.

 

Le bourreau qui avait été convoqué pour la torturer dans le donjon de Rouen rapporte ceci : Une fois dans le feu, elle cria plus de six fois : Jésus ! Et surtout en son dernier souffle, elle cria d’une voix forte : Jésus ! Au point que tous les assistants purent l’entendre ; presque tous pleuraient de pitié.

 

Un maçon qui avait effectué plusieurs travaux dans le château où Jeanne fut emprisonnée et jugée raconte : J’ai entendu dire que maître Jean Tressart, secrétaire du roi d’Angleterre, revenant du supplice de Jeanne, affligé et gémissant, pleurait lamentablement sur ce qu’il avait vu en ce lieu et disait : nous sommes tous perdus, car c’est une bonne et sainte personne qui a été brûlée ; et qu’il pensait que son âme était entre les mains de Dieu et que, quand elle était au milieu des flammes, elle avait toujours clamé le nom du Seigneur Jésus.

 

Je voudrais, à partir de l’évocation de la vie de Jeanne d’Arc, proposer deux sources de réflexion pour notre temps.

 

La première source est une méditation du Pape Benoît XVI, prononcée à l’audience générale du mercredi 26 janvier 2011. Je cite Benoît XVI : Cette sainte française, citée à plusieurs reprises dans le Catéchisme de l’Eglise catholique, est particulièrement proche de sainte Catherine de Sienne, patronne d’Italie et de l’Europe (…). Ce sont deux jeunes femmes du peuple, laïques et consacrées dans la virginité ; deux mystiques engagées non dans le cloître, mais au milieu de la réalité la plus dramatique de l’Eglise et du monde de leur temps. Ce sont peut-être les figures les plus caractéristiques de ces femmes fortes qui, à la fin du Moyen Age, portèrent sans peur la grande lumière de l’Evangile dans les complexes événements de l’histoire (…). L’Eglise, à cette époque, vivait la crise profonde du grand schisme d’Occident, qui dura près de 40 ans. Lorsque Catherine de Sienne meurt, en 1380, il y a un Pape et un Antipape ; quand Jeanne naît en 1412, il y a un Pape et deux Antipapes. Avec ce déchirement à l’intérieur de l’Eglise, des guerres fratricides continuelles divisaient les peuples chrétiens d’Europe, la plus dramatique d’entre elles ayant été l’interminable Guerre de Cent Ans entre la France et l’Angleterre (…).

 

Le Nom de Jésus invoqué par notre sainte jusqu’aux derniers instants de sa vie terrestre, était comme le souffle incessant de son âme, comme le battement de son cœur, le centre de toute sa vie. Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc, qui avait tant fasciné le poète Charles Péguy, est cet amour total pour Jésus, et pour son prochain en Jésus et pour Jésus. Cette sainte avait compris que l’Amour embrasse toute la réalité de Dieu et de l’homme, du ciel et de la terre, de l’Eglise et du monde. Jésus est toujours à la première place dans sa vie, selon sa belle expression : Notre Seigneur premier servi. L’aimer signifie toujours obéir à sa volonté. Elle affirme avec une totale confiance et abandon : Je m’en remets à Dieu mon créateur, je l’aime de tout mon cœur. Avec le vœu de virginité, Jeanne consacre de manière exclusive toute sa personne à l’unique Amour de Jésus : c’est la promesse qu’elle a faite à Notre Seigneur de bien garder sa virginité de corps et d’âme. La virginité de l’âme en état de grâce, valeur suprême, pour elle plus précieuse que la vie : c’est un don de Dieu qui doit être reçu et conservé avec humilité et confiance. L’un des textes les plus connus du premier Procès concerne précisément cela : Interrogée si elle sait d’être en la grâce de Dieu, elle répond : Si je n’y suis, Dieu m’y veuille mettre ; et si j’y suis, Dieu m’y veuille tenir.

 

La seconde source d’inspiration concerne notre discernement à propos de l’avenir de notre société. Jeanne d’Arc a eu la conviction que la guerre entre les Anglais et les Français sur le territoire du Royaume de France devait cesser. Il fallait rétablir la justice, comme on disait alors, en faisant reconnaître le Dauphin Charles, déshérité par son père Charles VI, au profit des descendants de sa fille Catherine de France, donnée en mariage au roi d’Angleterre Henri V. Jeanne a mené le combat afin que le Dauphin, injustement déshérité, puisse être reconnu comme Roi de France, sous le nom de Charles VII.

 

Grâce à l’éducation que nous recevons à l’école, grâce aux recherches historiques et grâce à notre initiation à devenir des citoyens libres d’un Etat de droit, nous avons les clés pour interpréter le sens des événements du passé. Quand il s’agit de construire l’avenir, dans un monde en perpétuelle transformation, nous sommes parfois bien démunis.

 

Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, des personnalités de premier plan ont voulu construire l’Europe, de telle manière que la guerre entre les peuples d’Europe soit écartée au profit de négociations pour la paix. Cette volonté de paix s’est appuyée sur des accords économiques, financiers, administratifs et politiques. Mais la construction de l’Europe rencontre aujourd’hui des questions très difficiles.

 

Au plan monétaire, économique, des décisions ont été prises à l’égard de pays méditerranéens. Elles aboutissent à des graves interrogations sur la justice, sur l’intérêt général de plusieurs Etats de droit.

 

Les situations intolérables au Moyen Orient, en Afrique, en Asie engendrent, comme dit le Pape François, une sorte de nouvelle guerre mondiale, dont nous voyons chaque jour des victimes quitter leur terre natale pour se réfugier en Europe. Les phénomènes migratoires, à grande échelle, avec leurs tragédies, leurs morts, sont le signe que, pour certains, profiter du malheur des gens est une source éhontée de revenus.

 

L’arrivée massive de personnes de religions différentes qui, à certains endroits d’Europe, se regroupent au point de devenir la majorité statistique en un lieu bouscule la signification profonde de ce qu’on appelait la Patrie, au moment de la première guerre mondiale. Au fond, en quoi consiste notre identité comme citoyens d’un Etat de droit, comme membres d’une Nation, comme artisans d’une société juste qui a son socle dans des valeurs communes ?

 

Les événements récents du mois de janvier 2015, qui ont suscité une réaction très puissante, peuvent engendrer la peur, surtout s’ils sont reliés à des situations intolérables en dehors de l’Europe.

 

Cependant -  je suis un citoyen belge et je risque une suggestion tout à fait libre – je suis un peu surpris par des sortes de clivages entre le privé et le public, quand il s’agit de construire la paix, travailler à l’intérêt général dans une société donnée. Je veux parler des convictions religieuses et philosophiques. Nous ne sommes plus au temps de Jeanne d’Arc. Nous n’avons pas à faire appel à des voix surnaturelles pour discerner ce qu’il faut faire pour le vivre ensemble.

 

Dans un entretien avec Nathalie Sarthou-Lajus, publié dans le périodique Etudes de mai 2015, Monique Castillo, professeur de philosophie à l’université Paris-Est-Créteil, et Jean-Marc Ferry, de la chaire de philosophie de l’Europe à l’université de Nantes, évoquent le malaise européen, de la crise des dettes au défi de l’intégration. Je cite Ferry : Il me semble que notre partage laïc, drastique, entre conviction religieuse privée et raison politique publique, mérite aujourd’hui réflexion. Nous avons tendance à considérer la privatisation de la conviction comme une formule, voire la formule de préservation contre les fanatismes religieux. Or on a pu reprocher à cette formule qui, fondamentalement, est aussi celle d’un certain libéralisme politique, de reposer sur l’ignorance mutuelle plutôt que sur la reconnaissance réciproque des appartenances et des convictions. La bipartition entre, d’un côté, la conviction privée religieuse, et de l’autre la raison publique politique, fut évidemment salutaire dans le contexte des guerres de religion. Mais on peut se demander si quatre ou cinq siècles plus tard, il n’y aurait pas eu un apprentissage à la tolérance, qui fait que ces mesures méritent d’être reconsidérées, avec la prudence qui se recommande. Notre raison publique devra tôt ou tard s’ouvrir à l’expression des convictions religieuses d’arrière-plan (…). La privatisation des convictions peut générer relativisme et scepticisme quant aux valeurs elles-mêmes, et dans d’autres groupes, induire une sectarisation, ferment par excellence des crises identitaires (p. 65-66).

 

Pour construire le vivre-ensemble, pour devenir artisans de paix, nous avons à dialoguer avec toutes les convictions, toutes les traditions.

 

Que sainte Jeanne d’Arc, patronne secondaire de la France avec sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte Face, devienne pour les chrétiens un appel à aimer le Christ, devienne pour tous une source d’inspiration dans le discernement de l’intérêt général.

 

+ Guy Harpigny,

Evêque de Tournai

 

 

 

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Mgr Thierry JORDAN,  Archevêque de Reims

ALLOCUTION du 11 mai 2015    POUR L’INAUGURATION DES VITRAUX D’IMI KNOEBEL

 

Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs,

Et vous les jeunes,

                                      Soyez les bienvenus ! Vous vous trouvez ici dans le lieu le plus symbolique de la ville de Reims et, de ce fait, dans un lieu qui parle – et de quelle manière ! – à nos deux nations. L’histoire l’a voulu ainsi. La nature de l’édifice le veut également. Ce lieu est habité d’une présence capable de rassembler en elle la souffrance et la mort, comme la reconstruction et l’espérance. Il ne s’agit pas d’oublier : le passé ne s’efface pas, il ne se surmonte même pas, il se transcende. Ici on comprend ce que doivent être les relations entre les peuples, entre les cultures. Ici on perçoit la dignité de l’homme et des hommes. Le message spirituel de la Cathédrale de Reims prend, de cette façon, tout son sens.

Nous sommes donc les héritiers de la réconciliation entre la France et l’Allemagne, scellée là où vous êtes le 8 juillet 1962, et commémorée 50 ans plus tard, au plus haut niveau également. On peut signer des accords où l’on veut. On peut enterrer la hache de guerre et se déclarer la paix où l’on veut. Dépasser en revanche la notion de coexistence pacifique et de partenariat pour décider de vivre désormais en frères, cela doit s’appuyer sur quelque chose de plus profond qui ressortit au sacré. La Cathédrale pouvait remplir ce rôle et elle l’a fait. On y entre donc toujours avec respect, quelles que soient ses propres convictions. On y entre avec ce qu’on est. Si on est un homme droit, on en ressort toujours meilleur, conforté dans l’étendue de ses responsabilités à l’égard de la famille humaine.

Mais vous avez vu, en arrivant, l’état des murs qui nous abritent, les échafaudages imposants de la campagne de restauration actuelle. Et quand ce n’est pas sur la façade, c’est sur les flancs ou sur l’arrière que se déplacent les interventions. Voici donc un autre message pour nous aujourd’hui. Donner corps à une véritable communauté des peuples, appelle un chantier quasi permanent. Consolider ce qui est fragile, reprendre ce qui doit l’être, embellir l’œuvre pour en faire mieux admirer la finalité et susciter l’élan nécessaire à son accomplissement.

La circonstance de ce jour participe de cette perspective. Le 25 juin 2011 étaient inaugurés les premiers vitraux d’Imi Knoebel pour notre Cathédrale, la première réalisation de cet éminent artiste sur ce côté du Rhin. La France avait passé commande à l’un des maîtres de l’art abstrait. Qu’il fût de nationalité allemande n’était sans doute pas le premier et seul critère, mais cela ajoutait à la signification de ce que nous admirions. La lumière peut-être un peu crue, mais capable d’irradier même aux heures les plus sombres des fins de journées, renforçait pour les croyants le sentiment que toute lumière pour la vie des hommes a une source.

Quatre années plus tard, c’est l’Allemagne, cette fois, qui offre à la Cathédrale un autre ensemble de vitraux. Que vous en soyez l’auteur, cher Maître, nous comble encore. Vous aviez à relever un autre défi, du fait de l’orientation au Nord de la chapelle dédiée à Ste Jeanne d’Arc. Vous avez donc dû opérer des choix un peu différents, dans le même esprit. Cela a été ou sera expliqué par vos soins et par la presse. En tout cas, la statue de Ste Jeanne d’Arc va disposer maintenant d’un écrin remarquable. C’est une bonne chose pour une figure de l’histoire qui a été et demeurera une icône de la liberté des peuples et de la fidélité à ses valeurs spirituelles.

Et voici un troisième et dernier message. Je l’adresse surtout aux jeunes, si nombreux dans l’assemblée. Quand vous passerez devant la chapelle, votre regard se portera naturellement sur les vitraux. Ensuite vous regarderez bien la statue. Elle présente une particularité, elle a les yeux fermés. Aucune statue, nulle part, n’a les yeux fermés, sauf les gisants sur les sarcophages indiquant que les défunts reposent dans l’attente de la Résurrection. La Jeanne d’Arc de Reims a les yeux fermés. Elle médite. Elle était de son temps, le début du 15ème siècle, mais elle semble être au-delà du temps et pour tous les temps.  Elle médite, c’est-à-dire qu’elle cherche son inspiration au plus profond d’elle-même. C’est dans sa conscience, éclairée par sa foi, qu’elle vient puiser son inspiration pour mener à bien sa mission, sans dévier jamais, sans s’arrêter jamais, jusqu’au don de sa vie pour la cause qu’elle sert.

C’est une bonne leçon qu’elle donne ainsi à tous, aux jeunes et en même temps à toutes les générations, aux grands et aux petits de ce monde, aux responsables dans les Etats, aux responsables dans les cités, et finalement à tous ceux qui veulent contribuer à l’édification d’une paix solide et durable, entre nos deux pays et dans le monde. Il n’y a pas projet plus noble aujourd’hui.

              

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Mgr Luc RAVEL, évêque aux armées.

Homélie du 21 septembre 2014, pour le centenaire de l'incendie de la cathédrale.

 

Il y a cent ans, la cathédrale de Reims s’enflammait, un fameux 19 septembre 1914. Cent après, notre mémoire chrétienne pourrait nous faire faire quatre pas sur le vrai chemin du vrai Dieu. (Pour ne pas nous errer aujourd’hui, à chaud, en face de nos guerres actuelles, il est bon de relire, à froid, nos guerres du passé.)

1. Premier pas : Dieu n’est pas dans la guerre comme on le pense.

« Mes pensées ne sont pas vos pensées » nous dit la première lecture. S’il y a bien un cas révélateur de cette grande vérité, c’est bien nos pensées sur Dieu dans la guerre. 

Les tragédies que nous voyons et celle que nous commémorons, les conflits de notre temps et les guerres du passé, nous poussent devant un mur de questions redoutables et inévitables : Dieu est-il dans la guerre ? Si oui, comment ? Soutient-il la guerre ? Y-a-t-il une guerre sainte ? Etc.

A ces questions, que de réponses approximatives, tordues à des fins de propagande ou simplement fausses parce que nos vues sont bornées ! Au cours de cette grande guerre, Dieu aura été mis à toutes les sauces par notre fébrilité à Le désigner ou à Le dénoncer. Dans quel camp était-il ? Celui des français, celui des allemands ? Celui des justes, nous, ou celui des injustes, les autres, en face ?

Certains expliquent la guerre par une défaillance des chrétiens eux-mêmes : « Cette guerre n’est pas la faillite du Christ, elle est la faillite du chrétien ; il y a des siècles que les hommes prêchent l’Evangile, et ces disciples n’ont pas encore assez eu d’influence  pour que de pareilles atrocités deviennent impossibles. » (Robert Cazalis, protestant, cité dans Annette Becker, La guerre et la foi…p. 19) Est-ce si simple quand on voit ces communautés ferventes massacrées dans leur innocence ?

A propos de Reims et de sa cathédrale, que n’a-t-on dit, dans toutes les bouches croyantes ! «La destruction de la basilique de Reims est un odieux blasphème contre Dieu, notre père à tous, et dénote chez ses auteurs l’absence de tout sentiment religieux et humain. » soutient le Grand Rabbin de France, Alfred Levy (cité par Annette Becker, La guerre et la foi, Armand Colin, 1994, p.21-22) avec beaucoup d’autres. Et pour laisser visible à la mémoire des hommes la barbarie des ennemis, certains préconisent de ne pas reconstruire la cathédrale de Reims : « Il faut la laisser comme témoin de la barbarie teutonne… » (Cité dans Annette Becker, la guerre et la foi p. 24) Ce qui a été dit de Reims pourrait être étendu à tout ce qu’on a dit de la guerre elle-même : punition divine, pédagogique certes mais punition quand même, méritée par des hommes et de peuples infidèles à Dieu, etc.

Est-ce la bonne réponse à la question intemporelle qui naît devant les drames : « Où est-il ton Dieu ? »

 

2. Deuxième pas : Dieu est présent dans la guerre par sa bonté pour tous.

Oui, Dieu était dans cette guerre comme Il est dans toutes les guerres. Et Il est dans les guerres comme Il est dans ce monde tissé de drames : pensons aux virus, aux famines, aux catastrophes naturelles. Mais Il n’y est pas comme nous aimerions qu’Il soit, une puissance à notre service, une division de plus pour massacrer l’adversaire, une justification de notre violence, une caution de notre barbarie.

Il y est par sa bonté. Ainsi s’exclame le Psaume 144 que nous venons d’entendre :

« Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d'amour ; la bonté du Seigneur est pour tous, … Le Seigneur est juste en toutes ses voies, fidèle en tout ce qu'il fait. Il est proche de ceux qui l'invoquent, de tous ceux qui l'invoquent en vérité »

Dieu ne fait pas ici-bas le tri entre les hommes. Il fait briller son soleil sur les bons et les méchants. Il est bon pour tous. Il a des fils dans tous les camps. Il sait que la victoire ne grandit pas nécessairement les vainqueurs et que la défaite n’abat pas nécessairement les vaincus. Il projette son amour au cœur de nos drames non pour régler nos comptes mais pour élever les cœurs.

Alors surgit une objection terrible : mais alors où est la justice là dedans si Dieu jette sa bonté aussi sur les méchants ?

 

3. Troisième pas : Dieu y est par une bonté qui n’élimine pas la justice.

J’entends bien que nous opposons souvent la bonté à la justice. Et c’est sûrement parce que nous sommes du côté de la justice sans bonté que nous avions placé Dieu dans notre camp ; c’est sûrement parce que nous voulions que Dieu applique sa justice vengeresse sur les autres que nous nous trompions de Dieu. L’évangile de ce jour nous déroute précisément parce que le Seigneur arrive à conjuguer la justice et la bonté ; il arrive à combiner le respect de la justice et le surplus de la bonté.

Quand il embauche, le Maître précise bien : « 'Allez, vous aussi, à ma vigne, et je vous donnerai ce qui est juste.' Ils y allèrent. » Mais au paiement final, il rajoute en raison de celui qui maugrée : « Je veux donner à ce dernier autant qu'à toi : n'ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mon bien ? Vas-tu regarder avec un œil mauvais parce que moi, je suis bon ?' »

Dieu qui parfois révèle sa bonté par des signes étonnants (les miracles), injecte sa bonté à tous moments. Comment insère-t-il son amour au cœur de notre histoire ? A travers les chrétiens brûlant de sa grâce. Les chrétiens au cœur du monde.

 

4. Quatrième pas : Dieu est dans la guerre par les hommes qui partagent la communauté de destin :

Le reflet actif de cette bonté de Dieu dans le monde, quelque soit la situation du monde, c’est l’homme qui accepte d’en être, d’y être de tout son poids, de toute sa chair ; en se situant au milieu du monde non comme un sous-marin dans la mer, étanche au milieu extérieur, mais comme une barque en mer débordé par les flots qui la submergent.  C’est l’homme imprégné des soucis et des joies du monde, disposé à la même destinée. Paul s’exprime ainsi en écrivant aux philippiens :

« Je voudrais bien partir pour être avec le Christ, car c'est bien cela le meilleur ; mais, à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire. »

Rentrant à Reims, de retour du conclave à Rome, dans la nuit du 21 au 22 septembre 1914, le cardinal Louis Luçon ne trouve que des ruines : ruine de la cathédrale incendiée le 19 septembre, ruines de la ville écrasée sous les obus. Dans son récit de Reims pendant la guerre, il n’hésite pas à écrire : « j’étais content quand-même, car si je ne pouvais préserver mes chers diocésains des coups qui les frappaient, du moins je serais là pour partager leurs dangers, pour soutenir leur courage, pour consoler leurs douleurs, pour prier pour eux. » (La plume de l’ange, n°3 juin 2014, p.32)

Quelques mois plus tard, invité à participer à une réunion à Paris, le 24 novembre 1915, il décline l’invitation dans les mêmes termes :

« A ces moment-là, je ne voudrais pas être absent (de Reims). Sans doute ma présence n’est point un préservatif pour mes chers diocésains ; mais si je ne puis les protéger contre le danger, du moins je le partage avec eux. » (10 novembre 1915. Cité dans « la plume de l’Ange, p.31)

Voilà la communauté de destin, plus profonde que la communauté de ressemblance. Ce que les religieux et prêtres ont choisi et vécu dans les tranchées… La bonté de Dieu prend chair dans notre chair et dans nos actes. Mais d’abord dans notre chair en vivant à plein cette communauté de destin. Puis dans nos actes, les actes concrets de celui qui ne sent pas sorti d’affaire tandis que ses frères sont encore dans le drame, les gestes de celui qui partage la même condition jusqu’au bout.

Ces prêtres dans les tranchées, ces croyants en partage du monde, voilà le levain dans la pâte. Nous rêvons d’être des étoiles dans le ciel : soyons déjà des lumières dans le monde.

+ Luc Ravel, évêque aux armées